Sur le papier, être freelance et parent, c’est avoir plus de flexibilité dans son organisation, plus de temps pour sa famille. Mais est-ce finalement si confortable que cela de gérer, de front, le quotidien de jeune parent et la vie d’entrepreneur ? Elsa, Fanny, Lauranne et Damien sont travailleurs indépendants et parents, depuis 2 ou 10 ans. Et jonglent chaque jour, entre contraintes et libertés, entre vie pro et vie perso… Ils nous livrent leur ressenti, sans langue de bois. De la matière à réflexion si vous songez à quitter votre job de salarié… ou à faire un bébé !
Comment appréhendiez-vous l’arrivée d’un bébé dans votre vie d’indépendant(e) ?
Fanny : Plutôt bien, je pense que j’aurais eu plus d’appréhensions en étant salariée, avec un planning rigide, dix semaines pile de congé mat, une reprise aux deux mois et demi de l’enfant avec un mode de garde à trouver absolument pour cette date. Mes appréhensions étaient plutôt liées au fait de devoir m’occuper moi-même de faire les démarches auprès de l’assurance maladie, pour connaître mes droits, etc. En tant qu’indépendant, tu n’as pas un RH qui te tient par la main pour te dire quoi faire…
Damien : Le choix de quitter mon CDI dans une banque pour devenir freelance a été fait un mois avant que l’on apprenne qu’on allait avoir un enfant. Cela ne m’a pas du tout découragé, au contraire. Avec mon épouse, on se dit que si on souhaite que notre fils réalise ses rêves, on doit lui montrer l’exemple et se lancer. Ceci dit, on savait aussi que l’on avait des économies et que le pari n’était pas des plus risqués.
Elsa : Je n’ai jamais eu d’appréhension personnellement mais lorsque j’ai quitté mon travail, tous mes anciens collègues me disaient : « Tu es sûre que tu veux quitter ton CDI alors que tu veux avoir un enfant bientôt ? », sous-entendu, tu te mets dans une situation compliquée. Mais je suis une fonceuse et ces remarques ne m’ont pas freinée.
Lauranne : J’imaginais que mes journées professionnelles seraient les mêmes qu’avant de devenir maman. Que j’allais déposer mon enfant sur son lieu de garde, puis travailler, et le chercher en fin de journée pour la soirée. Je n’avais pas d’inquiétude particulière sur le sujet.
Avez-vous pris un congé maternité de 6 semaines avant la naissance de votre bébé ?
Fanny : Oui !
Damien : Mon épouse a pris un congé maternité de 9 mois et comme notre fils est né durant la période Covid en décembre 2020, l’activité de freelance était très calme : j’ai toujours été à la maison, ce qui m’a permis d’être très présent durant ces 9 mois de garde.
Elsa : Non, je me suis arrêtée trois semaines avant la date prévue de mon accouchement.
Lauranne : Oui, j’ai pris le minimum car j’étais en pleine forme et je voulais travailler au maximum avant de m’arrêter. Le congé maternité me paraissait très très long et j’étais mal à l’aise de quitter mes clients si longtemps.
Avant d’accoucher (ou de devenir papa), envisagiez-vous de prendre un congé maternité (ou paternité) après la naissance ? Les choses se sont-elles déroulées comme vous l’envisagiez ?
Fanny : Pour mon premier enfant, le congé maternité des indépendantes était plus court que maintenant, j’avais prévu de recommencer à travailler le 1er décembre (pour une naissance début octobre) et c’est ce que j’ai fait. Je travaillais le week-end, quand mon mari pouvait garder notre bébé, car nous n’avions alors pas de mode de garde. Pour notre deuxième enfant, la loi avait changé, le congé maternité était plus long et je l’ai prolongé au maximum. Ensuite, j’ai repris tout doucement, en travaillant le week-end car, encore une fois, je n’avais pas de mode de garde.
Damien : On avait du mal à imaginer laisser notre enfant au bout de deux mois et demi, et on avait décidé très rapidement que mon épouse prendrait un congé plus long et que je resterais travailler à la maison.
Elsa : Oui et les choses se sont déroulées comme prévu. J’ai pris 16 semaines en tout, c’est la durée légale du congé maternité des micro-entrepreneuses.
Lauranne : Oui, j’ai décidé de prendre 4 mois de congés après la naissance car je savais qu’il serait compliqué de trouver un mode de garde pendant l’été (mon fils est né en avril). J’ai repris le travail en septembre, comme prévu. Mon mari, lui, ne devait prendre que les 15 journées légales (à l’époque), mais il a prolongé d’une semaine car nous étions très fatigués et personne ne pouvait m’aider (j’ai accouché pendant le premier confinement).
Aviez-vous prévu un mode de garde à temps complet dès le départ ? Ou souhaitiez-vous profiter de votre statut de freelance pour prendre un peu plus de temps avec votre enfant ?
Fanny : Pour notre premier enfant, j’ai eu une place en halte-garderie (2 jours par semaine) seulement aux 7 mois de l’enfant ! Je pense que je n’étais pas prioritaire.
Pour notre deuxième enfant : pas de place non plus. Ni en halte-garderie, ni en crèche (il est né fin novembre donc rien avant la rentrée de septembre suivante). Il est allé chez une nounou à temps plein seulement à l’âge de 10 mois.
Damien : Nous n’avons pas eu de mode de garde avant le neuvième mois, on voulait profiter au maximum des premiers moments de vie de notre fils. Le statut de freelance et les confinements liés au Covid nous ont beaucoup aidés…
Elsa : Oui, à partir de 3 mois quand j’ai dû retravailler, ma fille est entrée à la crèche.
Lauranne : J’avais choisi un mode de garde 4 jours par semaine, car je voulais passer mes vendredis avec mon fils. Finalement, ça n’a pas été une si bonne idée que ça, car j’avais souvent des propositions de missions qui m’intéressaient beaucoup. Par chance, la nounou acceptait de le prendre en heures supplémentaires dans ces cas-là. J’aurais dû demander un mode de garde à temps complet et garder mon fils quand je le pouvais, quitte à payer la nounou même quand il était avec moi.
Vous arrive-t-il de travailler tout en gardant votre (vos) enfant(s) ? Si oui, considérez-vous plutôt que c’est une chance de pouvoir concilier les deux ou que c’est contre-productif voire épuisant ?
Fanny : Oui, ça m’arrive très souvent ! Je trouve ça épuisant, stressant et même inefficace… C’est aussi parfois rageant d’être toujours celle qui met son boulot entre parenthèse sous prétexte je n’ai pas à me justifier auprès de mon employeur…
Damien : Oui, je travaille en gardant mon enfant, cela m’arrive de faire des réunions en le portant dans mes bras par exemple. Ce n’est pas toujours facile mais cela ne gêne pas le travail, car ce n’est pas tous les jours. Le gros avantage d’être freelance, c’est de n’avoir pas de contrainte horaire. Je peux le garder s’il est malade, l’emmener chez le médecin en pleine journée, le balader l’après-midi à la plage et travailler le soir quand il est couché…
Elsa : Oui très souvent et c’est une chance !
Lauranne : Oui cela m’arrive souvent : au total, c’est arrivé 13 semaines en à peine une année… C’est épuisant et cela crée une mauvaise ambiance chez moi. Je ne suis ni complètement avec mon enfant, ni complètement à ma tâche professionnelle. Je culpabilise sur tous les plans !
Parvenez-vous aisément à séparer vie pro et vie personnelle, à déconnecter pendant vos jours officiellement off, le soir ou le week-end ?
Fanny : Non. Je travaille un peu tout le temps et à des heures indues, sur la table de ma cuisine et sur mon téléphone en endormant mon bébé. Je ne suis pas sûre qu’à long terme ce soit très bon pour ma santé mentale mais c’est aussi lié au fait que j’ai deux enfants en bas âge…
Damien : Pour être franc, je n’arrive pas à séparer vie pro et vie perso. Je peux garder mon fils et rénover notre maison la journée, et travailler le soir ou le week-end. Pour l’instant, ce n’est pas un problème, je jongle entre les deux et cela me va bien. Mais lorsqu’il faut que je cloisonne davantage sur une mission, je vais travailler dans un espace de coworking et je peux pleinement me concentrer sur mon travail.
Elsa : Non pas toujours, mais ça ne me dérange pas ! D’un autre côté, si j’ai envie d’arrêter de travailler à 16 heures pour aller chercher ma fille à la crèche, je peux le faire !
Lauranne : Oui, et j’y tiens. Je ne fais que quelques rares exceptions.
Comment organisez-vous vos congés ? En prenez-vous autant que si vous étiez salarié(e), de manière aussi cadrée ?
Fanny : Je prends davantage de congés que lorsque j’étais salariée, car j’ai plus de liberté sur le sujet que mon conjoint (qui est salarié). J’annonce simplement à mes clients : je suis off de telle date à telle date.
Damien : Je n’ai pas pris de congés depuis presque 2 ans, hormis de longs week-end. Je jongle avec plusieurs clients et parfois, je dis à certains que je suis off pour réduire la charge de travail. Mais je n’ai jamais de période sans aucune mission. Cet été, je songe à prendre au moins une semaine totalement off. En tout cas, c’est le projet !
Elsa : Non, je n’en prends pas du tout autant et j’ai du mal à les organiser en avance. De manière générale, j’arrête de travailler lorsque mes clients ne travaillent pas, donc pour Noël et au mois d’août. Parfois, j’arrive à prendre quelques jours pendant l’année.
Lauranne : Je prends peu de congés. En général, ils sont « forcés » : lorsque la nounou est elle-même en congés. Mais je n’arrête pas complètement de travailler à chaque fois, j’effectue mes missions pendant les heures de siestes de mon fils par exemple. Je prends 2 ou 3 semaines de « vraies vacances » par an.
Pensez-vous que ce soit une chance ou plus difficile de s’organiser en étant freelance que salarié(e) lorsqu’on a un bébé ? Quels sont, selon vous, les avantages et les inconvénients du freelancing quand on devient parent ?
Fanny : A mon sens, et pour notre famille, le fait que je sois freelance est vital. Sincèrement, je ne sais pas comment font les salariés qui ont de jeunes enfants. Les miens sont malades une semaine sur deux, ou alors ils sont en vacances ou alors la nounou a un examen médical… J’ai le sentiment qu’il faut bien que quelqu’un mette son boulot de côté, le repousse à plus tard ou fasse des horaires décalés pour gérer…
Damien : Un bébé change toute ta vie et comme le perso et le pro sont mélangés, cela a un impact sur les deux. Avantages : la flexibilité, pas besoin de demander la permission pour garder son fils s’il est malade par exemple. Inconvénients : la sécurité financière qui devient un sujet plus important et que l’on ne peut pas vraiment avoir avec des missions courtes. Sans oublier aussi la sécurité sociale qui est moins avantageuse.
Elsa : Je pense que c’est une chance à partir du moment où on n’est pas trop stressé sur l’avenir et qu’on aime être flexible. Mais pour moi ce sont les conditions pour être freelance, que l’on ait des enfants ou non.
Lauranne : Je ne sais pas, je n’ai jamais été maman et salariée… Difficile de comparer sans le faire sur des a priori. Mon avantage principal, c’est que j’organise mes plannings et mon temps moi-même. L’inconvénient majeur, c’est que je ne gagne pas d’argent quand je ne travaille pas.
Avez-vous déjà songé à (re)prendre un job salarié depuis que vous êtes parent ? Pourquoi ?
Fanny : Non certainement pas. Qui s’occupera des enfants si nous faisons tous les deux 9h-18h ? Les enfants sont déjà épuisés quand leur journée se termine à 16h30. Réussir à donner un bain, un dîner, brosser les dents, lire une histoire à deux enfants entre 18h30 et 20h, c’est un mystère pour moi. Je ne sais pas comment font les couples de parents salariés…
Damien : Non, j’aime trop être freelance et le fait que mes journées ne se ressemblent pas. Pour moi, tout est en place aujourd’hui pour avoir un bébé, en profiter au maximum et être freelance. C’est une chance et jamais je ne ferai marche arrière.
Elsa : Non !
Lauranne : Jamais ! J’ai moins de liberté sur le plan personnel aujourd’hui en étant devenue maman, alors je veux la conserver à tout prix dans ma vie pro. Et j’aime pouvoir me dire, « la semaine prochaine, je prends une après-midi rien que pour moi » si j’en ai envie.
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