Le freelancing a le vent en poupe ces dernières années. L’avantage de travailler comme on le souhaite pour les freelances et l’avantage d’une main d’œuvre qualifiée pour les entreprises favorisent la conclusion de contrats de prestation. Mais tout n’est pas permis avec le freelance !
Une problématique récurrente concerne la requalification de ces contrats de prestation en contrat de travail. En effet, en dépit des statuts d’auto-entrepreneurs ou d’entrepreneurs individuels des prestataires indépendants, il peut arriver que les collaborations soient en réalité de véritables contrats de travail déguisés.
Une entreprise cliente d’un freelance, en sa qualité de donneur d’ordre peut alors se comporter comme un employeur. Or, un client est normalement limité à passer commande et à déterminer ses besoins avec son prestataire.
Le juge n’hésitera donc pas à requalifier un contrat de prestation en contrat de travail si les indices de salariat déguisé sont nombreux. Parmi les principaux indices figure en tête de liste l’existence d’une relation de subordination hiérarchique entre les parties.
Les parties peuvent cependant se protéger contre la requalification du contrat de prestation en prenant certaines précautions. Voyons comment éviter la requalification juridique du contrat de prestation en contrat de travail.
Pas de conditions de travail imposées au freelance
Par principe, le contrat commercial ou le contrat de prestation sont étrangers à toute relation hiérarchique. En effet, ces contrats lient deux parties indépendantes. Elles ne sont donc pas liées par un lien de subordination.
Dans ce sens, une jurisprudence très connue rappelle que toute relation hiérarchique est synonyme de contrat de travail en raison de l’existence d’un lien de subordination entre les parties.
“ le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ” (Cass. Soc., 13 novembre 1996, pourvoi n°94-13.187).
L’existence du lien de subordination est l’élément central qui déterminera la requalification du contrat de prestation en contrat de travail.
La chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 31 janvier 2007 rappelle que “ le lien de subordination se caractérise par les conditions matérielles d’exécution du travail, à savoir par les contraintes imposées par l’employeur quant au lieu de travail, aux horaires, à la fourniture de matériel, etc. “ (Cass. Soc., 31 janvier 2007, n°05-41.343).
Lorsque les critères du lien de subordination sont présents et vérifiables dans l’exécution d’un contrat de prestation, le juge pourra procéder à la requalification du contrat de prestation en contrat de travail avec tous les effets qui s’y attachent (ex: congés payés, paiement des charges patronales…).
Rédiger un contrat de prestation
L’existence d’un contrat de prestation entre les parties permet en cas de litige d’apporter une preuve supplémentaire qu’il ne s’agit pas d’un contrat de travail.
Autrement dit, si le juge suspecte un lien de subordination dissimulé entre les parties, l’existence d’un contrat de prestation permettra à l’entreprise cliente d’apporter une preuve supplémentaire qu’il ne s’agit pas de salariat déguisé.
Toutefois, le contrat de prestation à lui seul ne peut pas suffire pour éviter la requalification du contrat de prestation en contrat de travail.
En effet, même bien rédigé, le contrat de prestation peut être requalifié si le juge considère que les conditions de travail amènent l’existence d’un lien hiérarchique entre les parties (ex: lorsque l’entreprise cliente impose des horaires de travail).
En toute hypothèse, la rigueur de la rédaction du contrat de prestation est primordiale afin d’expliciter les conditions d’exercice de l’activité du prestataire. C’est pour cette raison qu’il est conseillé à toute entreprise de déléguer la rédaction de leurs contrats de prestation à un juriste ou à un avocat.
Dans un arrêt du 22 mars 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation avait d’ailleurs rappelé que le travailleur indépendant, exerçant son activité dans les locaux de son ancien employeur et dans les mêmes conditions de travail, révèle l’existence d’une relation hiérarchique impliquant un l’exercice d’un pouvoir de direction de son client (Cass soc 22 mars 2018 N° de pourvoi: 16-28641).
Ainsi, les mentions principales du contrat de prestation doivent préciser :
- l’objet du contrat ;
- les missions prévues ;
- les modalités d’exécution ;
- les conditions de rémunération ;
- l’identification du prestataire ;
- les délais de livraison de la prestation.
Vérifier si le freelance travaille en toute légalité
Une entreprise cliente exerce ses obligations légales en tant que donneur d’ordre.
Partant de ce constat, le Code du travail impose au donneur d’ordre de vérifier l’identité et le statut juridique des prestataires avec lesquels il contracte.
Le donneur d’ordre doit notamment vérifier que son prestataire est régulièrement enregistré auprès de l’administration. Par conséquent, l’entreprise cliente doit demander à son prestataire de produire le document attestant de son immatriculation (extrait K bis ou carte répertoire des métiers).
En outre, l’entreprise cliente doit également vérifier que le prestataire est à jour concernant le paiement de ses cotisations sociales ainsi que de ses obligations fiscales lors de la conclusion d’un contrat portant sur un montant d’au moins 5 000 € HT et ce, tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution (article L 3245-2 code du travail, article L 8822-1 code du travail, articles R 8222-1 à R 8222-3 code du travail, articles D 8222-4 à D 8222-5 code du travail, article L133-4-5 code de la Sécurité sociale).
Ces vérifications contribuent à se prémunir contre le risque de requalification du contrat de travail, car si l’activité de l’auto-entrepreneur n’est pas régulièrement enregistrée, cela signifie que le lien entre les parties est un lien de subordination juridique et donc un contrat de travail.
Un freelance autonome et indépendant
L’autonomie et l’indépendance du freelance font partis des premiers critères d’un contrat de prestation qui seront vérifiés par le juge.
Par conséquent, l’entreprise cliente doit veiller à ne pas dépasser les limites de son rôle, c’est-à-dire passer commande auprès du prestataire et indiquer ses attentes. En aucun cas l’entreprise cliente peut intervenir dans l’organisation du travail de son prestataire en lui imposant des horaires, un lieu de travail, etc.
Dans un arrêt de 2015, le juge avait considéré que l’employeur qui fait appel à ses anciens salariés désormais auto-entrepreneurs, en leur imposant les modalités d’exécution de leur travail, caractérise l’existence d’un lien de subordination entraînant la requalification du contrat de prestation en contrat de travail (Cass. crim. 15 décembre 2015 n° 14-85.638).
Plusieurs clients pour le freelance
La dépendance économique du freelance est un indice complémentaire qui permet au juge de confirmer l’existence d’un lien de subordination juridique entre les parties.
Un prestataire qui travaille en tant que travailleur indépendant et dont son chiffre d’affaires ne dépend que d’un client est assimilé à un salarié quant à sa dépendance économique.
Une illustration jurisprudentielle très parlante concerne l’activité d’une auto-entrepreneur exerçant dans le secteur du service administratif, qui avait un unique client. L’auto-entrepreneur ne développait pas sa clientèle volontairement, ce qui révélait aux yeux du juge l’existence d’un contrat de travail en raison de la dépendance économique du prestataire (CA de Nîmes du 29 janvier 2019, n°16/05297).
En effet, à l’image de la rémunération fixe d’un salarié, un auto-entrepreneur qui ne réaliserait son chiffre d’affaires qu’avec un seul client peut être soupçonné de réaliser ses missions dans les mêmes conditions qu’un salarié.
Textes de référence :
- Cass. Soc., 13 novembre 1996, pourvoi n°94-13.187
- Cass. Soc., 31 janvier 2007, n°05-41.343
- Cass soc 22 mars 2018 N° de pourvoi: 16-28641
- Cass. crim. 15 décembre 2015 n° 14-85.638
- CA de Nîmes du 29 janvier 2019, n°16/05297
- article L 3245-2 code du travail
- article L 8822-1 code du travail,
- articles R 8222-1 à R 8222-3 code du travail,
- articles D 8222-4 à D 8222-5 code du travail,
- article L133-4-5 code de la Sécurité sociale